Esprit de la démocratie, es-tu là ? 02 – L’Eveil 8 mars 2012

RAISONS ET HORIZONS
ESPRIT DE LA DÉMOCRATIE, ES-TU LÀ ? (suite)
Par son vote chaque citoyen est  auteur de la loi considérée comme l’expression de la volonté générale. Quelle confiance  pouvons-nous accorder à cette volonté générale ? Est-elle un guide sûr ?

Si la volonté générale est toujours droite, elle n’est pas toujours bien éclairée.
Cette volonté dite « générale » se définit d’abord par son objet,  le « général », c’est-à-dire le bien du tout, ou encore l’intérêt commun. Dès lors que le corps politique a été constitué par le contrat social qui fait d’une multitude d’individus les membres d’un même peuple, ce corps politique n’existe, comme n’importe quel autre être vivant,  que pour autant qu’il fait effort pour subsister, rassemblant ses forces et donnant de l’unité à son action en s’imposant à lui-même la loi. La loi est ainsi l’expression de la volonté générale, au service du bien du tout.
Aussi la volonté générale ne se tourne jamais délibérément et consciemment vers ce qui peut nuire au tout qu’est le corps politique. Voilà en quoi elle est toujours droite. Mais il se peut qu’elle soit trompée ou qu’elle se trompe, et qu’étant mal éclairée, ses propres décisions  lui soient néfastes
En effet cette volonté générale est présente en chaque citoyen, chez qui elle cohabite avec la volonté particulière qui, elle,  veut le bien de l’individu. Sur un paquebot  chaque passager a sa volonté particulière, l’un veut prendre un bain de soleil, l’autre jouer au badminton, un troisième faire une partie de bridge, et ainsi de suite. Mais tous ont en eux et en commun la même volonté générale qui veut d’abord le bien du tout, à savoir que le bateau ne fasse pas naufrage…
Il n’empêche que la présence de cette volonté générale ne  fournit pas un savoir inné des règles de la bonne navigation, et la volonté particulière qui  recherche l’intérêt privé, peut  toujours gêner  l’exercice de la raison.

L’oubli du tout et le retour à l’essentiel.
Bien des groupes de pression peuvent nous solliciter pour que nous privilégiions de façon quasi exclusive une dimension de notre vie personnelle. Oubliant le tout à multiples facettes qui caractérise chacun de nous (être homme ou femme, et célibataire ou marié, et propriétaire ou locataire, et parent ou sans enfant, et fonctionnaire ou artisan, et sportif ou musicien…), nous ne retenons qu’ un seul aspect qui dicte notre vote. La vignette moto joua un rôle non négligeable dans l’élection présidentielle de 1981 : les motards en colère se mobilisèrent très activement contre cet impôt nouveau. Entre les deux tours le candidat de l’union de la gauche annonça qu’il l’abrogerait. Il fut élu avec un faible avantage ; s’il lui avait manqué 500 000 voix, soit à peine  1,50 % des inscrits, le résultat était inversé. L’élection de 1981 a-t-elle été gagnée sur une affaire de vignette ? Il se peut. Petite cause et grands effets…
    Pour éviter d’oublier l’essentiel, ne faudrait-il pas une éducation citoyenne qui nous habitue à voir plus grand et plus loin par delà l’immédiate préoccupation particulière qui obscurcit la volonté générale ? A cette fin les établissements d’enseignement sont là, ainsi que tous les media ; mais pour que l’information et la réflexion l’emportent, il faut agir avec patience, dans l’apaisement. Et c’est justement par temps calme, en dehors des campagnes électorales, que l’attention du grand public se détourne le plus de ce qui pourrait vraiment l’éclairer.

Le vide des mots et l’envol des idées.
    A l’approche du scrutin l’intérêt renaît et l’attention grandit ; malheureusement c’est aussi le moment où les passions s’enflamment et où les slogans fleurissent visant à « cogner » (to slog) plus qu’à éclairer : chaque camp s’emporte au-delà du raisonnable, les uns accaparant  la justice, les autres monopolisant l’amour de la France. Le fracas des mots  effraie les idées qui désertent le vrai débat. Est-ce un hasard malicieux qui au fil des ans a fait circuler la même formule dans des mains adverses ? En 1981, le refrain de l’hymne socialiste proclamait : « France socialiste puisque tu existes, Tout devient  possible ici et maintenant », et le candidat élu en 2007 affirmait à son tour : « Ensemble tout devient possible ». Comment les têtes pensantes des états-majors politiques peuvent-ils se laisser aller à   produire des formules aussi creuses ? Chacun sait très bien que tout n’est pas possible, et que tout ne deviendra pas possible par un coup de baguette magique, quel que soit l’élu. Alors pourquoi dire et répéter sans y croire soi-même, ce que personne ne peut vraiment et sérieusement penser ?
    Pour excuser cette désinvolture certains signaleront que la Marseillaise en dit tout autant dans son dernier couplet : « Soyons unis ! Tout est possible ». Oui, mais il s’agit du « couplet des enfants » qui peuvent encore rêver ! Parfait pour enflammer les cœurs et entraîner les volontés, notre hymne national ne suffit pas pour éclairer les esprits.
Serge Monnier
Le 23 février 2012

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