Esprit de la démocratie, es-tu là ? – 03 Suite et fin – L’Eveil 7 avril 2012

ESPRIT DE LA DÉMOCRATIE, ES-TU LÀ ? (suite) par Serge Monnier   

    Au cours de la campagne, pour bien montrer que l’élection  n’est pas un « concours de beauté », les candidats s’évertuent à présenter aux électeurs des dizaines de mesures plus ou moins concrètes et précises, dont ils s’acharnent à  prouver la compatibilité économique et à assurer la cohérence idéologique. Vastes chantiers et constructions ambitieuses dont l’annonce ne doit pourtant pas être prise pour argent comptant  et dont le caractère inéluctable ne doit pas non plus être exagéré une fois que le scrutin aura rendu son verdict.

TOUT MANDAT IMPÉRATIF EST NUL.
Selon l’article 27  de notre Constitution « tout mandat impératif est nul ». Un élu de la nation reçoit donc un mandat représentatif  : il n’est pas un simple mandataire ou exécutant, avec une « feuille de route » précise dont le suivi est contrôlé de sorte que  l’élu soit révocable à tout moment. En donnant sa voix à un candidat l’électeur ne lui donne pas l’ordre  d’agir de telle ou telle façon. Il lui fait confiance pour agir le mieux possible en prenant en compte toutes les informations disponibles et en appréciant la conjoncture toujours en évolution. Il revient à l’élu d’apprécier ce que les grecs appelaient le « kairos », le « moment opportun » pour agir. En cours de mandat le corps électoral ne peut exercer aucune mesure de rétorsion contre lui, il doit attendre la prochaine élection pour éventuellement le sanctionner.
    En 1981, en vue d’une « éducation de qualité », la 91ème proposition du candidat Mitterrand affirmait : « Les classes comprendront 25 élèves au maximum ». Le candidat socialiste a bien été élu, mais personne n’a vu le nombre d’élèves par classe diminuer. Bien au contraire, au Lycée Simone Weil du Puy par exemple, tout au long des années 80 les effectifs  n’ont fait qu’augmenter au point que 80% des lycéens  étaient dans des classes comprenant entre 35 et 40 élèves. Et pourtant les 800 000 enseignants de France ne pouvaient révoquer celui pour lequel ils avaient très majoritairement voté.
    L’électeur doit donc bien avoir conscience que tous les engagements pris même solennellement ne sont au mieux que des intentions sincères ; il lui appartient de donner sa confiance avec circonspection.

APPLICATION ET APPROBATION ?
Tous, y compris les membres de la minorité, doivent appliquer la décision majoritaire, et ce faisant nul ne perd sa liberté puisque cette clause est partie intégrante du contrat social auquel chacun  consent, ne serait-ce que tacitement. Mais il ne faut pas confondre l’application pratique et l’approbation théorique, sous peine de sombrer dans le totalitarisme.
    La minorité n ‘a nullement le devoir d’approuver la décision majoritaire. Elle a le droit de penser – et elle a aussi le devoir de faire savoir – que selon elle cette mesure est inadaptée et peut-être dangereuse. Pour ne pas rester purement intellectuelle la protestation peut prendre la forme de manifestations, à condition que les lois républicaines visant à assurer l’ordre public soient respectées. C’est ce qu’il advint en 1984 avec le mouvement de l’école libre contre le projet de loi Savary. La 90ème proposition du candidat élu en 1981 annonçait : « Un grand service public, unifié et laïque de l’éducation nationale sera constitué », et ajoutait : « Sa mise en place sera négociée sans spoliation ni monopole ».  Cette négociation n’ayant pas abouti, le 24 juin 1984, deux millions de personnes manifestaient à Paris contre les propositions du gouvernement, et le 12 juillet le projet de loi sur l’enseignement privé était retiré.    Mais la protestation ainsi exprimée avant le vote de la loi n’incitait pas à refuser d’obéir à la loi ni à transgresser un interdit fixé par la loi. Elle sanctionnait l’échec de la négociation annoncée en 1981.
    Ne faut-il pas parfois aller plus loin,  jusqu’à refuser d’appliquer la loi, voire prôner la transgression de l’interdit ?  Il  ne s’agit pas alors de faire plier la loi selon les intérêts d’un groupe ou les goûts de certains, mais de servir le bien en référence à des principes supérieurs susceptibles de réclamer les plus grands sacrifices. Déjà en refusant d’obéir  aux injonctions  politiques de son oncle Créon pour obéir à la loi de Zeus, la jeune Antigone manifeste la force de l’objection de conscience. A sa façon la désobéissance civile lui emboîte le pas.  Mais lorsque les moyens utilisés impliquent une certaine violence, même simplement verbale, le risque est grand de voir les raisons invoquées perdre de leur pertinence,  et s’estomper la pureté des motivations. Et il est  bien étrange de voir ceux qui se sont vantés de désobéir à la loi pour mieux la faire changer  se plaindre amèrement et s’indigner ensuite que d’autres agissent de même pour s’opposer à l’application de la nouvelle loi.

    Comme quoi la  démocratie a besoin de citoyens éclairés et responsables, sans illusion avant le vote, et sans renoncement à leurs convictions une fois l’échéance passée.

Serge Monnier
5 avril 2012

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