RCF 24 mars 2014 – LIBRE PROPOS par Serge Monnier

 

LE JUBILE DU PUY ET LA VIERGE NOIRE

 

Chers amis, auditeurs et auditrices, bonjour !

 

Demain mardi, nous serons le 25 mars. Jour très important pour les chrétiens, puisque neuf mois très exactement avant la fête de Noël, l’Eglise célèbre l’Annonciation, c’est-à-dire l’annonce faite à Marie par l’archange Gabriel qu’elle serait la mère du Messie.

Cette fête revêt un caractère tout particulier pour la cathédrale du Puy qui est placée sous le vocable de Notre-Dame de l’Annonciation.

De plus lorsque le vendredi saint a lieu un 25 mars, la cité mariale du Puy connaît de grandes manifestations religieuses. A l’occasion de ce que l’on appelle un jubilé ou « grand pardon » les fidèles, et plus spécialement les pèlerins venus en grande foule, bénéficient de manière plus abondante de la grâce et de la miséricorde de Dieu.

Selon certains les premiers jubilés au Puy auraient eu lieu dès la fin du dixième siècle, juste avant l’an 1000. Mais les premiers renseignements consignés par l’histoire remontent au jubilé de 1407. Il ne dura qu’un seul jour et fut marqué par un très grave accident. En raison du peu de temps accordé pour gagner l’indulgence il y eut encombrement dans les rues du Puy et surtout aux abords immédiats de la cathédrale. 200 personnes périrent étouffées ou écrasées. C’est pour éviter le retour de pareilles catastrophes que dans la suite les papes augmentèrent peu à peu la période jubilaire.

Depuis le début du quinzième siècle ces grandes fêtes, 19 en tout, se sont succédées à intervalles très irréguliers : 12 fois l’intervalle a été de 11 ans, 2 fois il a été de 46 ans, 1 fois de 57 ans, 2 fois de 73 ans, et même une fois l’intervalle a duré quatre-vingt-dix-huit ans soit presque tout le seizième siècle. Le vingtième siècle a connu trois jubilés en 1910, en 1921 et en 1932. Puis il a fallu attendre soixante-treize ans pour qu’ait lieu le jubilé de 2005 qui s’est parfaitement déroulé. Le prochain jubilé aura lieu dans deux ans en 2016. Et ensuite il faudra attendre presque un siècle et demi, 141 années précisément pour qu’ait lieu à nouveau un jubilé en 2157.

Le fait que ces grandes manifestations religieuses aient lieu seulement à l’occasion de la coïncidence de ces deux fêtes majeures pour le christianisme – l’annonciation et la mort du Christ en croix -, présente l’avantage de nous offrir un précieux éclairage sur le phénomène des Vierges noires.

Certes ce n’est pas seulement au Puy que les fidèles vénèrent une Vierge noire. Ces statues de Marie au visage noir sont plusieurs centaines en France, et la région du Centre où se trouve le Puy en est particulièrement riche.

A quand remontent toutes ces statues ? Selon les meilleurs spécialistes, aucun témoignage de Vierge à l’enfant de couleur noire n’a pu être remonté avec certitude jusqu’à l’époque romane. Ce n’est qu’à partir du quinzième siècle que sont mentionnées des vierges noires et il est intéressant de noter que cette date coïncide justement avec les premiers jubilés connus au Puy-en-Velay.

Cette coïncidence peut nous conduire à suggérer une interprétation plausible de la couleur noire de ces statues. Nous pouvons ainsi essayer de répondre à la question : pourquoi la Vierge noire est-elle noire ?

Si on laisse de côté les considérations historiques plus ou moins anecdotiques et les références ésotériques parfois évoquées pour rendre compte de l’apparition en un lieu ou en un autre d’une Vierge noire, pourquoi le noircissement des Vierges se répand-il à partir du quinzième siècle ?

Sans que l’on n’ait aucun témoignage sur les auteurs et les raisons de cette initiative, l’on évoque souvent l’application à la Vierge Marie des propos que tient la jeune épouse dans le Cantique des Cantiques : « je suis noire et pourtant belle (…). Ne prenez pas garde à mon teint basané : c’est le soleil qui m’a brûlée. Les fils de ma mère se sont emportés contre moi, ils m’ont mise à garder les vignes » (Cantique des Cantiques, ch. Ier, versets cinq et six,). Cette jeune femme n’est pas de race noire ; la couleur de sa peau est due aux services qu’elle rend, à son état de servante exposée à l’ardeur du soleil. Et comme dans toute expression symbolique, l’usage du signifiant est poussé à l’extrême : la couleur franchement noire signifie le caractère éminent du service rendu. De fait la Vierge Marie est par excellence « la servante du Seigneur » selon sa propre réponse à l’ange le jour de l’annonciation.

Mais il faut noter que selon Faujas de Saint-Fons qui en 1778 donna une description détaillée de la statue du Puy avant qu’elle ne soit brûlée sur la place du Martouret pendant la période révolutionnaire, et sur une enluminure de la fin du quinzième siècle conservée à la Bibliothèque nationale de Vienne en Autriche, qui représente la Vierge du Puy sans son manteau, le visage de l’enfant qu’elle tient sur ses genoux est tout aussi noir que celui de sa mère. Pourquoi ? D’autre part Marie et l’enfant ont tous les deux les mains blanches : pourquoi ?

La couleur également noire des deux visages signifie que si Marie est la servante du Seigneur, son fils est le « Serviteur de Yahvé » ; c’est précisément cette conjonction qui est célébrée au Puy lorsque le vendredi saint tombe le même jour que la fête de l’annonciation le 25 mars. En effet en subissant sa passion et en mourant sur la croix, le Christ réalise les prophéties contenues dans les quatre chants du « Serviteur souffrant », chants mystérieux insérés dans le livre du prophète Isaïe. Ainsi Marie et son fils ont tous les deux le visage noir parce qu’ils sont serviteur et servante, entièrement fidèles à l’accomplissement du dessein de Dieu.

Mais pourquoi ont-ils les mains blanches ?

La blancheur des mains est symbole de pureté et d’innocence. Les psaumes mentionnent à plusieurs reprises le juste au coeur pur dont les mains sont lavées dans l’innocence. Ainsi Marie et son fils ont les mains blanches parce qu’ils sont parfaitement innocents, indemnes de tout péché, pleinement accordés à la volonté du père des Cieux. Le jour de l’annonciation Marie déclare : « je suis la servante du seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole ». Et Jésus qui est le serviteur de Yahvé à la veille de sa passion s’adresse à son père en ces termes : « que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne ».

Demain mardi 25 mars, un jubilé ne sera pas célébré au Puy puisque cette année le vendredi saint n’aura lieu que le 18 avril. Mais rien ne nous empêche de considérer que la tradition du jubilé du Puy associée à la vénération de la Vierge noire nous permet de répondre à nos interrogations : la Vierge noire portant son fils sur ses genoux, avec tous les deux le visage noir et les mains blanches, offre à notre méditation un excellent condensé du mystère chrétien dans toute sa richesse et sa profondeur.

 

En attendant le grand jubilé de 2016, je vous souhaite de vivre dès demain une bonne fête de l’Annonciation.

A la semaine prochaine.

 

Serge Monnier

Le 24 mars 2014