Depuis plusieurs semaines, dans des milliers de communes, se tiennent des assemblées pour « repenser l’avenir du service national ». Par delà la définition de son contenu – service armé ou service civil -, ce nouveau service national doit-il reposer sur le volontariat ou être obligatoire ?
Les réponses à cette question, surtout de la part des jeunes, manifestent une valorisation spontanée du concept de volontariat qui serait tout à la fois synonyme de liberté du sujet et de qualité supérieure d’exécution des tâches en raison d’une forte motivation personnelle, alors que l’obligation, facilement assimilée à la contrainte, nierait la liberté et engendrerait désintérêt et négligence.
Cette opposition n’est-elle pas excessivement simplificatrice ? Le volontariat et l’obligation n’entretiennent-ils pas des relations plus complexes et plus riches, portées par notre conditon d’hommes, en rapport avec autrui dans la vie sociale et civique, et aussi en rapport avec cet autre de la volonté générale qu’est la volonté particulière en chacun de nous ?
LE VOLONTARIAT, SOURCE D’OBLIGATION
« Volontariat » renvoie à volonté, à choix, et à liberté : être libre, c’est avoir le pouvoir et le droit de s’assigner à soi-même un but ; c’est aussi la nécessité de s’imposer une règle. Volonté vraie n’est pas velléité, et vouloir vraiment, ce n’est pas seulement désirer ou « vouloir bien », comme I’on dit : « je veux bien », c’est faire effort pour qu’une chose soit, pour que l’objet en représentation, et donc abstrait, devienne réalité concrète, avec l’infinité de ses déterminations, riche de surprises ou de déception. Cet effort nécessite le regroupement et la canalisation des énergies, l’unification du comportement, autrement dit la définition et l’imposition d’une règle par laquelle on veut être régi ; selon la formule de ROUSSEAU, « l’impulsion du seul appétit est esclavage, l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».
Même seul comme Robinson Crusoë sur son île, le volontaire n’échappe pas à I’obligation multiforme ; il s’y porte de lui-même, certes, et pourtant ce n’est pas tout lui-même qui s’y conforme spontanément, puisque la paresse et les envies capricieuses sont autant d’obstacles internes à l’accomplissement du projet volontairement choisi.
Et si I’efficacité voulue nécessite l’intégration au sein d’un groupe ou d’une organisation, alors il faut tenir compte du réel collectif, et il n’est plus question d’une libre invention de la règle personnelle : l’engagement vaut acceptation d’une règle qui s’impose à tous, mais aussi acquiescement à une répartition inégale de tâches complémentaires plus ou moins difficiles ou gratifiantes.
LA CITOYENNETE VOLONTAIRE
L appartenance au corps politique repose sur un volontariat implicite : en renonçant à son droit sur toutes choses, par le contrat social, chaque citoyen a en lui la volonté générale, c’est-à-dire, la volonté qui veut le bien du général, le bien du tout auquel il appartient. Cet objectif commun ne saurait être atteint si les comportements ne sont pas règlés, unifiés, grâce à la loi, expression de la volonté générale. Ainsi une citoyenneté active satisfait à I’exigence de subordonner la volonté particulière à la volonté générale : le citoyen, volontaire par définition, obéit à la loi, universelle et égale, indépendamment des particularités physiques, morales et sociales.
Pourtant cette abstraction égalisatrice ne saurait suffire : animé par la volonté générale, donc pour le bien du tout, le citoyen volontaire veut que chacune des grandes fonctions que nécessite la vie en société soit remplie correctement, et même aussi parfaitement que possible. Il s’ensuit qu’il ne saurait vouloir faire défection, ni se soustraire aux obligations qui découlent de son appartenance volontaire au corps politique.
Mais, compte tenu des modifications du contexte ou afin de parvenir à une meilleure efficacité, pour le bien du tout assurément, la volonté générale ne pourrait-elle pas vouloir que ces fonctions soient assumées par des volontaires qui choisiraient eux-mêmes la mission qu’ils vont devoir remplir ?
L’HEUREUSE OBLIGATION
Ne pouvant êre assimilée à une contrainte à laquelle on ne saurait résister si elle est réelle, l’obligation n’est pas spontanément respectée parce que les goûts, les désirs et les passions divergent souvent de la voie que trace la raison ou qu’impose I’autorité ; aussi désintérêt, paresse et négligence entravent I’exécution de la tâche confiée. Ne vaudrait-il pas mieux laisser toujours le libre choix de la fonction ou de la mission? L’élan et I’enthousiasme du volontaire, ainsi que le plaisir qui accompagne l’activité, amélioreraient le service rendu.
Mais cette évidence n’est-elle pas trompeuse? Par hypothèse, au moment du choix, les difficultés ne sont jamais toutes envisagées, puisque ce qui est à venir n’a pas encore été vécu. Aussi avec l’épreuve qui surgit, avec la fatigue qui s’accumule, naît le risque de la désaffection, de la négligence, de la désertion. Puisque mon choix fut le fruit de ma seule liberté, toujours plus ou moins guidée et entraînée par mes goûts ou mes dispositions du moment, ne puis-je pas revenir sur mon engagement dès lors que les circonstances ont changé et que I’expérience vécue m’a dévoilée la face cachée des conséquences de mon engagement?
Si la fine pointe de la volonté singulière, libre et arbitraire, est le seul fondement de I’engagement particulier, elle ne saurait garantir la bonne exécution des missions essentielles auxquelles la volonté générale est profondément attachée. Dans cette logique, le citoyen volontaire doit vouloir que sa mission lui soit commandée. Pour éviter d’être mû par la simple recherche de la commodité, le citoyen volontaire doit vouloir être obligé d’accomplir sa tâche, sans céder à la présomption de ne compter que sur sa propre force de caractère. Les dispositions d’un moment, aussi généreuses soient-elle, ne sauraient suffire, ainsi que nous le rappelle ALAIN : « Si tu te connais humain et équitable, fais-en honneur aux lois aussi ».